Dans la mythologie grecque, Circé (en grec ancienΚίρκη/ Kírka, «oiseau de proie[1]») est une très puissante magicienne aussi qualifiée par Homère de πολυφάρμακος/ polyphármakos, c'est-à-dire «particulièrement experte en de multiples drogues ou poisons, propres à opérer des métamorphoses». Elle est décrite par les auteurs antiques comme une déesse (Homère, Virgile), mais a ensuite été estampillée pour des motifs idéologiques ultérieurs comme une sorcière ou enchanteresse.
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Circé
Détail d'un lécythe à fond blanc, vers 490-480 av. J.-C., musée national archéologique d'Athènes.
Circé est la fille d’Hélios (le Soleil) et de l’Océanide Perséis, sœur d’Éétès, de Dilemme[2] et de Pasiphaé[3].
Homère[4], Hésiode[3], Virgile[5] et Ovide[6] la considèrent, de par sa naissance, comme une déesse à part entière, ce qui ne semble pas avoir été le cas du reste de sa parentèle. Cicéron s'interroge sur son caractère humain ou divin dans deux de ses ouvrages: au livre III du De natura deorum et au livre I du De officiis[7].
Elle apparaît principalement au chant X de l’Odyssée: elle habite dans l’île d’Ééa, dans un palais situé au milieu d’une clairière, entouré de loups et de lions, autrefois des hommes qu'a ensorcelés Circé. C’est là qu’elle a autrefois, si on en croit les récits argonautiques, recueilli et purifié Jason et Médée (sa nièce, fille d’Éétès) après le meurtre d’Absyrtos[8].
Quand Ulysse et ses compagnons abordent l’île, vingt-deux d’entre eux, menés par Euryloque, se laissent attirer jusqu’au palais par une voix harmonieuse[9]. La magicienne les accueille et leur offre un cycéon, breuvage composé de gruau d’orge, de miel vert, de fromage et de vin de Pramnos auquel elle ajoute un poison[10]. Dès qu’ils ont bu, elle récite une incantation qui les transforme en porcs. Euryloque, resté dehors, court avertir Ulysse, qui part à la recherche de Circé. Le dieu Hermès lui apparaît alors sous la forme d’un beau jeune homme tenant un roseau d’or. Le dieu Hermès à la baguette d’or lui remet l’herbe «moly» (μῶλυ / mỗlu) et lui donne des instructions pour triompher de Circé[11]. Quand il arrive chez la magicienne, celle-ci lui offre le cycéon, mais elle échoue à le transformer. Ulysse tire son épée; apeurée, Circé lui offre de partager son lit. Là encore, Ulysse, suivant les recommandations d’Hermès, demande à la magicienne de jurer par «le grand serment des dieux» qu’elle ne cherchera plus à lui faire de mal[12]. Cela fait, Ulysse et Circé s’unissent, puis elle rend aux compagnons leur apparence humaine[13]. Un an s'écoule. Elle aide enfin le héros et son équipage à préparer leur départ[14], en leur conseillant d'aller consulter le devin Tirésias aux Enfers.
De ses amours avec Ulysse, elle aurait conçu plusieurs enfants (leur nombre et leur nom divergent beaucoup selon les traditions): Télégonos, Latinos, Agrios, Cassiphoné, Nausinoos, Nausithoos, etc. On prête en outre à Circé bon nombre d’enfants nés de liaisons avec plusieurs Olympiens. Ainsi, dans les Dionysiaques, Nonnos de Panopolis lui attribue-t-il la maternité de Phaunos, l’équivalent du Faunus latin, issu de ses amours avec Poséidon.
Mythe romain
Le logographe grec Denys de Milet[15] fait de Circé la fille d’Éétès et d’Hécate, déesse lunaire de la sorcellerie qui préside aux incantations. Toujours selon lui, elle épouse le roi des Sarmates, qu’elle empoisonne. Chassée une première fois par ses sujets, elle fuit sur une île déserte, ou selon d’autres, vers l’Italie où elle fonde Circaeum, aujourd'hui Monte Circeo, dans le Latium. C'est ainsi que les auteurs romains la relient à leur propre mythologie. Chez Ovide, elle se distingue alors par de nombreuses actions malfaisantes, transformant par exemple Scylla en monstre marin[16] par jalousie, et le roi Picus en pivert[17].
Au Moyen Âge on la retrouve dans les légendes populaires d’Italie, mêlée à la figure d’Hérodiade sous le nom d’Aradia, fille de Diane et de Lucifer.
Interprétations
Circé
Les commentaires anciens et modernes sur Circé abondent. D'après l'étymologie de son nom, Plutarque et Stobée l'identifient respectivement à la «révolution circulaire de l’univers» et au «mouvement circulaire et périodique de la renaissance» dont sont victimes les hommes soumis à un destin animal[18]. Plus récemment, le philosophe d'Hooghvorst a repris cette interprétation: «Le mouvement circulaire évoque l'idée de l'éternel retour sans terme, donc sans évasion possible. [...] La nature de ce monde, Circé, devient, sans bonne chymie, une femme mauvaise et traîtresse[19].»
Le poison de Circé et son antidotee
D’après Dion de Pruse dans le VIIIeDiscours, le poison de Circé n'est autre que le plaisir, délétère, corrupteur des sens, qui ramène l’homme à l'état de bête sauvage, prenant le loup et le porc à titre d’exemples.
Le pays des Tyrrhéniens était réputé de longue date pour les plantes médicinales dont il abondait. Ainsi s'expliquent les nombreuses allusions aux diverses drogues de Circé et à leurs funestes effets psycho-somatiques: ivresse, perte de mémoire, délire et chute dans un profond sommeil. De tels effets peuvent provenir, selon les spécialistes de la pharmacologie moderne[20], de la stramoine, Datura stramonium, dont le principe actif, l'atropine, se retrouve aussi dans la belladone et dans la jusquiame.
Le contre-philtre, fourni à Ulysse par le dieu polypharmacien qu'est Hermès, et qui a pour nom moly, a été identifié, selon les études pharmacologiques les plus récentes[21], comme étant le perce-neige, Galanthus nivalis, dont le principe actif, la galanthamine, contrecarre l'action de l'atropine.
Circé H.496, musique de scène pour solistes, chœur, cordes et basse continue, (pour la tragédie de Thomas Corneille), de Marc-Antoine Charpentier (1675)
Circé, tragédie lyrique en 1 prologue et 5 actes, livret de Louise-Geneviève Gillot de Saintonge, de Henry Desmarest (1694)
Circé, musique de scène pour la tragédie de Thomas Corneille de Jean-Claude Gillier (1705)
Circé, cantate de Luigi Cherubini (1789)
Circé, opéra en 3 actes de Théodore Dubois (1896)
Le sort de Circé, titre de l'album "Mutatis Mutandis" de Juliette (2005)
Poésie
Les Compagnons d'Ulysse, in Fables, de Jean de la Fontaine.
La Circé (La Circe), poème de Felix Lope de Vega.
Le dernier voyage, in Poèmes conviviaux, de Giovanni Pascoli, 1904. Ulysse devenu vieux et près de mourir retourne chez Circé pour la revoir, mais en vain[22].
Circé. Poèmes d'argile, de Margaret Atwood imagine l'histoire de Circé par elle-même plutôt que du point de vue d'Ulysse[23].
Roman et Nouvelles
Elpénor, de Jean Giraudoux, 1919, réécriture humoristique de l'épisode homérique.
Ulysse, de James Joyce, 1922, chapitre XV.
Naissance de l'Odyssée, de Jean Giono, 1930, où l'auteur désacralise les héros d'Homère, y compris Circé, qui n'y utilise plus que des charmes de femme.
Paix à Ithaque!, de Sándor Márai, 1952, qui raconte, entre autres, la mort d'Ulysse, tué par le fils qu'il eu avec Circé, Télégonos.
Petite Circé, 1966, nouvelle de Dino Buzzati où une enchanteresse moderne transforme son amant en chien.
Circé, de Madeline Miller, 2018, récit modernisé de l’histoire de Circé.
«Circé», Julio Cortázar, 1951, nouvelle publiée dans le recueil Bestiaire.
«L’Oiseau de proie», de Salomé Frisch, 2021, nouvelle récompensée par le Prix afpeah
«Fabula veneficae Circes», de Yann Sandona, 2021, nouvelle récompensée par le Prix afpeah
Philosophie
Que les bêtes ont l'usage de la raison, dans Œuvres morales, de Plutarque, où les animaux métamorphosés par Circé y refusent de reprendre forme humaine.
La Circé, de Giambattista Gelli, 1549, qui imite le dialogue de Plutarque.
"Ulysse et Grillus" (sixième dialogue), dans Dialogues des morts, de Fénelon, 1712.
Bandes dessinées
L'île du mythe dans Voyages de rêves, de Vittorio Giardino, Casterman, collection Un Monde, 2003. Prépublication sur commande dans le supplément Voyages et vacances du quotidien italien L'Espresso. Vittorio Giardino y raconte l'aventure d'un couple de vacanciers sur une île grecque. Ils rencontrent par hasard une belle Kirki Kalliplokamos («Circé aux belles boucles» ainsi qu'Homère la nomme[24]), laquelle vit à l'antique, isolée et entourée de restes archéologiques et d'animaux. Elle leur offre l'hospitalité. Pendant la nuit, l'homme rêve qu'il se transforme en porc.
Polaris ou la nuit de Circé, de Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval, Delcourt, 2018.
Richard Marazano (scénario) et Gabriel Delmas (dessin), Circé la magicienne, Dargaud, (ISBN9782205082883)
Cinéma
Dans La Dame de Shanghai d'Orson Welles, l'avocat Bannister navigue sur le voilier Circé.
Dans The Eternals de Chloe Zao, Circé est interprétée par Gemma Chan.
Télévision
L'épisode 16 d'Ulysse 31 (Circé la magicienne) est consacré à Circé.
L'épisode 42 de La petite Olympe et les dieux (Glaucos et Scylla) reprend le mythe de Scylla dans lequel Circé transforme Scylla (appelée Camille) en monstre marin.
De officiis, livre I, chapitre 31: «Si toutefois Circé et Calypso doivent être appelées des femmes»; Dans le De natura deorum, livre III, chapitre 29, Caius Aurelius Cotta s’interroge: «Ce titre [de déesse] sera refusé à Circé et à Pasiphaé, qui ont pour père le soleil [...]?». À cette fausse question, Cotta répond par l'affirmative, car il rejette la multiplication des cultes et des divinités qui relève plutôt de la superstition. Les traductions sont de Désiré Nisard, 1806-1888.
Denys de Milet est un historien du VIesiècle av. J.C. surnommé le Cyclique parce qu'il avait composé un Cycle historique où il évoquait les mythes des divers peuples de la terre sous une forme historique.
Ovide, Métamorphoses, XIV, vers 1 à 74.
Ovide, Métamorphoses, XIV, vers 320 à 396.
Cités dans: H. van Kasteel, Questions homériques, Physique et Métaphysique chez Homère, Grez-Doiceau, Beya, , LXXXVIII + 1198 (ISBN978-2-9600575-6-0 et 2-9600575-6-2), p.210.
H. van Kasteel, Questions homériques, Physique et Métaphysique chez Homère, Grez-Doiceau, Beya, , LXXXVIII + 1198 (ISBN978-2-9600575-6-0 et 2-9600575-6-2), p.1032 et 1036.
Jean Bruneton, Pharmacognosie, phytochimie et plantes médicinales, Paris, Lavoisier, 1993, p. 653-665; Y. Cohen, Pharmacologie, Paris, Masson, 1997, p. 16-19.
Andréas Plaitakis et Roger Duvoisin, Homer's moly identified as Galanthus nivalis L., Physiologic antidote to Stramonium Poisoning, in Clinical Neuropharmacology, 1983, vol.6, n°1, p. 1 à 5.
Dictionnaire des personnages, Laffont et Bompiani, Robert laffont, 1960.
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